Mélissa Mariller

Les marbrures des bancs ne laissent pas les enfants indifférents
Une exposition de Mélissa Mariller

20 novembre 2021-15 janvier 2022

Site web de l'artiste

L’exposition Les marbrures des bancs ne laissent pas les enfants indifférents témoigne du processus de travail de Mélissa Mariller, guidé par une fascination pour les formes qu’elle convoque et les matières qu’elle invoque. Ses gestes de sculptrice-assembleuse sont inspirés par un instinct plastique et esthétique ainsi qu’un penchant affirmé pour l’expérimentation.

La singularité du travail de Mélissa réside dans son caractère hybride. Sculptures fonctionnelles aux accents alien ou œuvres mobilières excavées d’une matière brute, ses pièces échappent aux catégorisations, empruntant à des registres parfois antinomiques. Convoquant à la fois le chaud et le froid, l’opaque et le transparent, le mat et l’étincelant, l’urbain et le domestique, l’industriel et l’artisanal, ses sculptures à éprouver pourraient séjourner dans une ruine post-apocalyptique, un intérieur contemporain ou un vaisseau spatial. Les œuvres de Mélissa sont sur le fil, toujours intruses et toujours à leur place, empreintes de spontanéité et d’élégance. Pour sa première exposition personnelle à L’attrape-couleurs, elle nous invite à traverser un espace fragmenté, feutré et tamisé, soigneusement repensé pour accueillir ses sculptures-objets.

En effectuant des recherches sur l’aluminium, l’un des matériaux de prédilection de Mélissa, j’ai appris que celui-ci est utilisé en pyrotechnie pour réaliser les couleurs des feux d’artifice. Les teintes des voilages utilisés par l’artiste pour redessiner l’espace de L’attrape-couleurs sont comme autant de couleurs d’un feu d’artifice mis à la verticale, offrant un écrin à ses sculptures. La référence à la pyrotechnie convoque également l’imaginaire du feu, omniprésent dans le travail de Mélissa, de par l’emploi de techniques de fonte de métaux et de cuisson de céramique. La récurrence du motif de la flamme, subtilement décliné dans les œuvres de l’artiste et plébiscité par les amateurs de tuning dont elle revendique l’influence corrobore cette relation au feu. Dans le travail de Mélissa, l’aluminium est modelé, plié, on retrouve la trace de la main, du pinceau, de la meuleuse, de la disqueuse, l’empreinte de la fonte, de la cuisson, du cintrage… L’artiste emploie des techniques industrielles aussi bien que des savoir-faire vernaculaires, créant ainsi des formes composites, urbaines et domestiques, tour à tour ascétiques et voluptueuses.

Particules figées est réalisé au moyen de découpe laser et marqueterie industrielle quand le silicone déposé sur les œuvres SDB ou PM porte la trace d’une technique artisanale. D’un bout à l’autre de L’attrape-couleurs, les pièces se complètent et se répondent. La matière courbée, soumise à l’aléa, rendue à sa réalité charnelle et organique m’évoque le Crash ! De J.G. Ballard, dans lequel un groupe de personnages développe un fétichisme macabre pour les accidents de voiture. Avides de corps disloqués par des tôles meurtrières, ils entretiennent une relation malsaine au potentiel destructif de la voiture, envisagée comme extension du corps, à désirer, à assimiler, à fantasmer. Ce récit morbide s’attarde sur ces véhicules figés, rendus à leur immobilité, marqués par le contact avec un corps étranger et organique dans un dernier choc funeste. L’imaginaire de l’arrêt mécanique brutal dans les récits de science-fiction n’est pas sans rappeler la catastrophe relatée par René Barjavel dans Ravage. Ce roman, paru en 1943, raconte notre futur – presque notre présent puisque l’intrigue se déroule en 2052 – dans un monde totalement automatisé. Du jour au lendemain, l’électricité disparaît, entraînant l’arrêt de toutes les machines devenues essentielles à la civilisation et plongeant ainsi la société dans le chaos. J’imagine les œuvres de Mélissa en reliques d’un monde parallèle, le futur d’un passé qui n’aurait jamais vu le jour. Elles semblent fonctionnelles et étranges, comme si nous n’avions pas la clef de leur charge véritable. Leur apparente fragilité nous invite à les éprouver tout en nous plaçant dans une instabilité déroutante. Les sculptures-objets de l’artiste nous invitent à jouer l’apprenti archéologue découvrant les vestiges d’une utopie technologique effondrée.

Alice Marie Martin